Muriel aux sources d'Orwell

Sente de la chèvre qui bâille : le livre

Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle

Lire La Chèvre jaune & Balade caprine à travers la littérature tourangelle

Souvenir d'une image où George Orwell, accroupi, était en conversation avec une chèvre. Une photo, retrouvée dans le livre de Bernard Crick, George Orwell, Flammarion, 2008, daterait de 1939 et sa légende nomme la chèvre : Muriel.

Dans La Ferme des animaux, c'est Edmée, la chèvre blanche, qui n'est pas tout à fait dupe des subterfuges des cochons pour asseoir leur ordre nouveau. Mais Edmée c'est la métamorphose de Muriel par le facteur Quéval, Jean, de facture Oulipienne – Raymond Queneau se serait écrié : « Quéval est un méconnu » – aux traductions pléthoriques. Jean Quéval – dont on peut lire une courte biographie sur le site de Paul Braffort – a certainement emporté avec lui les raisons de cette métamorphose. Elle permit pourtant de s'interroger par-ci, par-là.

La découverte du journal d'Eric Blair (George Orwell), actuellement publié sous forme de blog par The Orwell prize, nous a rappelé qu'il n'y avait peut-être nul hasard à ce qu'Orwell soit en accueil de la Sente depuis qu'elle existe. Eric Blair cultivait son jardin, non comme Candide, pour se détourner du monde, mais pour aspirer un peu d'air frais et y replonger.

Nous nous proposons, ci-dessous, d'extraire du journal d'Orwell les passages où les chèvres sont évoquées avec le précieux secours d'Arthur Morneplaine pour la traduction.

Journal d'Eric Blair (lire le m@nuscrit)

16 août 1938

Le mouflon de Sardaigne* a une grosse mamelle comme la chèvre & donnerait probablement une pinte ou davantage. Je remarque que les sabots du zèbre, du moins la paire antérieure, sont plutôt perpendiculaires quand ceux du zébrâne ressemblent plus aux sabots d'un cheval. L'hybride a des oreilles légèrement plus grandes, par ailleurs sa silhouette est presque semblable à celle du zèbre.

* vu au zoo près de Maidstone dans le Kent. Mouton sauvage des montagnes de Sardaigne & de Corse et, par extension, tout mouton sauvage aux grandes cornes. Ces mouflons descendraient de ceux domestiqués au Proche- Orient, introduits dans les îles méditerranéennes de Corse, Sardaigne & Chypre au néolithique avant de revenir à l'état sauvage. A.M.

Gibraltar, 8 septembre 1938

Ici, la variété de chèvre est la maltaise, du moins principalement. La chèvre est plutôt petite, la moitié supérieure de son corps est recouverte de longs poils rêches & en désordre qui la recouvrent jusqu'aux genoux, donnant l'impression qu'elle a de très courtes pattes. La plupart des chèvres n'ont pas de cornes, les cornes de celles qui en ont se recourbent si abruptement qu'elles reviennent contre la tête &, généralement, poursuivent leur rotation d'un demi-cercle, l'extrémité de la corne frôlant les yeux. Les pis pendent beaucoup & la plupart du temps ressemblent à des sacs sans tétines ou avec des tétines d'à peine 1/2 pouce de long. De couleurs noires, blanches & (surtout) fauves. On dit qu'elles donnent environ un litre par jour. Les chèvres semblent se nourrir de presque rien, p. ex. le troupeau que j'ai regardé broutait du fenouil sauvage à fleur de sol.

Tanger, 10 septembre 1938

L'eau est transportée dans des peaux de chèvre & vendue.

Marrakech, 13 septembre 1938

Animaux : vers la fin du Maroc espagnol, des chameaux commencent à apparaître ; plus répandus à l'approche de Marrakech, ils sont alors presque aussi habituels que les ânes. Moutons & chèvres à peu près aussi nombreux. Pas beaucoup de chevaux, mules presque absentes. Vaches en plus grand nombre. Bœufs de labour près de Marrakech, mais aucun plus au nord. Tous les animaux, presque sans exception, en lamentable condition. (Ce serait dû à deux années successives de famine).

Marrakech, 9 octobre 1938

Les prix suivants sont relevés de la foire animalière de Bab el Khemis (certains sont sujets à réduction si l'on marchande)[...] Chèvres (très médiocres) 30 à 50 F.

12 octobre 1938

Ai installé les poules & les chèvres[...] Les chèvres sont minuscules. En cherchant partout dans le marché je n'ai pu en trouver d'une taille convenable avec de grandes mamelles, bien qu'on puisse voir des chèvres vraiment pas mal dans les troupeaux qui paissent à flanc de colline. La race, ici, est très poilue & sa robe a tendance à se salir. La nôtre, une minuscule chèvre rousse, devrait de toute évidence avoir un petit bientôt. L'autre, un peu plus grande, censée être en lait ; je doute qu'elle donne plus d'1/2 pinte par jour pour commencer. Après l'avoir engraissée pendant 10 jours, certainement une pinte. Les Arabes sont scandalisés à l'idée de donner du grain, de n'importe quelle sorte, aux chèvres. Ils disent que nous devrions seulement leur donner de l'herbe. Si on leur donne du grain, elles boivent énormément & enflent. Du très bon fourrage coupé (de la luzerne, je pense) est vendu au bazar pour 10 ct la botte. Un franc à peine devrait être suffisant pour deux chèvres par jour tant qu'il y aura de la verdure. Je leur ai donné pour premier repas un mélange d'orge & de son. Elles n'ont peut-être jamais vu une chose pareille & n'y font pas attention. Ensuite, plus tard, elles le sentent & commencent à s'en occuper. Les chèvres ici ne se plaignent pas de manger à même le sol. Elles sont très craintives, mais elles sont si petites qu'il est facile de les manier, elles ne cherchent pas à utiliser leurs cornes. Elles sont douces entre elles & ne se querellent pas pour la nourriture. Elles ont été amenées à la maison dans des sacoches de chaque côté d'un âne, le propriétaire de l'âne assis au milieu.

14 octobre 1938

Aujourd'hui ai trait la petite chèvre (qui ne porte probablement pas de petit) pour la première fois. Pendant un long moment, je n'ai pu obtenir une goutte de lait, bien que la mamelle soit grosse & manifestement pleine de lait. Enfin, j'ai découvert que, si au lieu de tirer à la main le trayon vers le bas — sens habituel —, je m'emparais du pis entier & le pressais comme si c'était une éponge, le lait venait plutôt facilement. Apparemment une configuration différente des mamelles. Un rendement misérable, environ 1/2 pintes, pour deux chèvres. Mais elles se nourrissent bien & devraient s'améliorer bientôt.

Villa Simont, route de Casablanca, 16 octobre 1938

Chèvres un peu apprivoisées. La femme de l'Arabe qui travaille dans l'orangeraie & s'occupe des brebis dit que la chèvre brune attend des petits.

18 octobre 1938

Chèvres domestiquées. Je traie la petite seulement une fois par jour & obtiens environ 1/2 pinte par jour des deux. C'est mieux que quelques jours auparavant. La petite a eu une diarrhée légère hier, probablement due à un fourrage trop vert & humide, donc maintenant je sèche la luzerne pour faire une sorte de foin. À peu près au même moment un mouton de M. Simont est mort mystérieusement — il aurait mangé trop d'herbage surgi après la pluie. Les chèvres peuvent manger presque n'importe quoi, p. ex. pelures d'orange, & une certaine quantité de maïs peut leur être donné s'il est cuit & mélangé avec de la purée. Ici, on ne peut disposer de flocons de maïs. Les chèvres suivent déjà & connaissent le chemin de leur abri.

20 octobre 1938

Les chèvres donnent nettement plus de lait. Plus d'une 1/2 pinte, même si je trais la brune qu'une fois par jour.

21 octobre 1938

Des chèvres, autour d'ici, sont de couleur vive gris-argenté. On dit que les chèvres espagnoles de première catégorie coûtent 500 F.

25 octobre 1938

La chèvre brune, en plus d'être très difficile à traire, donne peu ou pas du tout. Elle est peut-être vraiment arrivée aux préliminaires du chevrotage, dans ce cas elle aura probablement un petit dans quelques semaines. Les chèvres mangent volontiers du blé & du maïs bouillis.

27 octobre 1938

Hier, en trayant la chèvre brune, ai trouvé que son lait était devenu aigre & qu'il sortait assez épais. C'est parce qu'elle est traite seulement une fois par jour &, en raison de son agitation, n'a pas été traite complètement pendant deux jours. Ai pressé le mauvais lait vers le sol & ce soir son lait était de nouveau comme il faut [...] Le lait de la chèvre rayée augmente, mais très légèrement, encore à peine plus d'1/2 pinte par jour. Elle est très mince, même si elle mange bien. La ration alimentaire actuelle est de 2 poignées d'orge & 2 de son, matin & soir, avec une purée de maïs & de son bouillis, à peu près une fois par semaine.

Journal d'Eric Blair II (lire le m@nuscrit II)

1er novembre 1938

Passage d'un troupeau de moutons & de chèvres, une chèvre vient de donner naissance à un chevreau. Le berger a tiré le chevreau, l'a transporté, la mère clopinant derrière eux & appelant son petit avec, pendu derrière elle, son placenta. Les chèvres mangent les feuilles des figuiers de Barbarie. D'autres broutent des buissons épineux, descendent à quatre pattes & rampent, presque comme des chats, sous les épines, pour atteindre quelques feuilles vertes.

La plupart des autres animaux sont misérables, et ceux qui ne rapportent pas de lait ont des mamelles de toute taille. Une chèvre espagnole de bonne classe coûte presque autant qu'une vache ; cela donne une idée sur les faibles qualités de la traite de celle-ci.

3 novembre 1938

L'âne à moitié affamé qui, je pense, a été acheté récemment par M. Simont a découvert que l'on donnait de l'orge aux chèvres & vient le leur voler.

6 novembre 1938

Les chèvres n'ont presque plus de lait, probablement parce qu'elles n'ont pas eu d'orge quelques jours. En attendant l'arrivée de l'orge, je leur ai donné autre chose, p. ex. de la bouillie de maïs.

13 novembre 1938

Maintenant la chèvre rayée est tarie.

16 décembre 1938

Ici, les animaux domestiques mangent presque n'importe quoi. Les ânes mangent de vieilles feuilles de courge sur un tas de détritus. Les vaches, les chèvres & les moutons sont nourris du déchet des feuilles entourant les artichauts. Remarquons : lorsque les chèvres & les moutons sont nourris ensemble, les chèvres se battent entre elles, mais ne s'en prennent pas aux moutons.

27 janvier 1939 (à Taddert)

Dans les vallées modérément ombragées & le long des cours d'eau, il y a de petites, mais bonnes pâtures pour les vaches ; les chèvres paissent jusqu'au sommet des collines. Les chèvres sont les mêmes que par ici, les moutons pour la plupart sont d'une variété différente, avec une laine extrêmement soyeuse.

(à suivre...)

Eric Blair, 1938 – 1942, C.D. & A.M.

P.S. Belles plumes se penchant sur « l'animalisme de George Orwell ».


Pour chevroter dans la sente, il suffit de proposer un texte en contactant directement christian(à)domec.net.




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